À une époque où le label « œuf issu de poule élevée en plein air » nʼétait pas encore un argument commercial décisif et où les sacs plastiques envahissaient les décharges, Marks & Spencer (M&S) sʼétait déjà lancé discrètement dans une démarche de développement durable. Bien avant que la question ne devienne une préoccupation mondiale, le grand distributeur britannique proposait déjà dans ses magasins, vêtements, alimentation et produits ménagers de qualité élevée et abordables, quʼil se procurait dans le monde entier auprès de quelque 2 000 fournisseurs sélectionnés comme des sources dʼapprovisionnement responsables. À lʼaube du XXIe siècle, il est devenu manifeste que, sans mesures draconiennes, un avenir décent pour les générations futures serait difficilement envisageable.
En 2006, M&S entreprit dʼexaminer de plus près les valeurs dʼéthique et de durabilité de ses activités et décida de les renforcer dʼun cran, tout en cherchant à mobiliser le soutien des clients dans sa démarche. Avec ce « Plan A », élément central de sa stratégie commerciale, M&S a obtenu, selon ses propres dires, des résultats « entièrement positifs ».
En dépit de ses belles réussites, ce Plan devait encore aller au-delà pour convaincre les clients. Confrontés au matraquage des médias sur la réelle provenance des produits, les clients aiment pouvoir être sûrs, sans devoir sʼen soucier, que les fraises quʼils achètent sont cultivées de manière éthique ou que les usines qui approvisionnent M&S traitent correctement leurs employés. En 2013, lʼenseigne sʼest alors tournée vers la norme ISO 26000 pour trouver comment promouvoir respect et pratiques équitables dʼun bout à lʼautre de sa chaîne logistique. Fiona Sadler, Responsable Commerce éthique chez M&S, nous explique pourquoi la responsabilité sociétale est une proposition gagnant-gagnant pour toutes les parties impliquées.
Pas de Plan B pour la planète
Avec des fournisseurs dans 70 pays et près de deux millions de salariés dans 2 000 usines et 20 000 exploitations agricoles, M&S dépend totalement de sa chaîne dʼapprovisionnement. Établir des relations commerciales avec des partenaires loyaux est donc un aspect fondamental de la stratégie du groupe et, pour la poursuite des affaires, un comportement éthique et des normes environnementales sont des critères essentiels.
Dans une volonté de dépasser les attentes de ses employés, de ses clients et de ses parties prenantes, la société, en collaborant avec les fournisseurs, a souhaité créer un lieu de travail équitable et améliorer sa performance environnementale. En 2006, elle prend alors lʼinitiative dʼinscrire la durabilité au cœur de ses activités, de la source dʼapprovisionnement des produits aux relations avec les fournisseurs, les clients et le grand public. Le but ultime visé était de faire en sorte quʼà lʼhorizon 2020, tous les produits de la marque comporteraient au moins un élément durable – un plan ambitieux exigeant des objectifs concrets, des mesures rigoureuses et un reporting transparent.
La clé de la réussite impliquait un changement dʼattitude de la part de chacun des 25 millions de clients de la marque. En 2006, la première campagne intitulée « Look Behind the Label » (Regardez derrière lʼétiquette) avait attiré lʼattention sur les différentes initiatives éthiques et écologiques adoptées par la société dans la production et lʼapprovisionnement de ses produits. Elle avait été largement plébiscitée, en particulier par les leaders dʼopinion et les défenseurs des aspects éthiques.
Il ne suffisait pas de prêcher aux convaincus, il fallait aussi inciter les gens à agir. Dʼoù le virage entamé en 2007 vers une stratégie dʼengagement « durable » incarnée par le lancement du « Plan A ». Ce projet, qui comportait 100 engagements concrets autour de cinq axes – réchauffement climatique, gestion des déchets, approvisionnement en matériaux durables, éthique et protection de la santé – visait à accroître la durabilité environnementale sur lʼensemble de la chaîne de valeur.
Appuyé par un programme dʼaudit de grande envergure, le Plan A, ainsi nommé par le PDG de lʼépoque, Stuart Rose, « parce quʼil nʼy a pas de Plan B pour sauver la planète », a entraîné des changements fondamentaux dans la manière dont M&S traite avec ses fournisseurs, tout en maintenant un niveau élevé de confiance des clients et dʼimplication du personnel.
Loyauté des partenariats
Bien que largement applaudi pour son programme environnemental, M&S nʼa toutefois pas réussi à convaincre le public que le « vert » était la meilleure option. À lʼépoque, les médias nʼont pas aidé avec le scandale autour de la viande de cheval et la catastrophe de Rana Plaza en 2013, où lʼeffondrement dʼune usine de vêtements au Bangladesh avait entraîné la mort de plus de mille ouvriers. M&S nʼétait en rien associé à ces tragédies, mais celles-ci nʼen ont pas moins soulevé des questions très dérangeantes sur le coût humain de la mode et de lʼalimentation à petits prix.
En tant que grand distributeur de vêtements, M&S est confronté à des défis importants dès lors quʼil sʼagit de sʼapprovisionner de manière responsable auprès de ses fournisseurs en Asie du Sud, essentiellement en Inde, au Sri Lanka et au Bangladesh. Or, les fournisseurs originaires de ces pays représentent près de 80 % de son empreinte écologique. Qui plus est, la société considère lʼépanouissement du potentiel humain comme la base de la durabilité sociétale et environnementale pour les générations actuelles et futures. Cʼest donc dans cet esprit que la norme ISO 26000, Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale, est devenue son outil de choix pour appuyer les objectifs ambitieux du Plan A. Après mûre réflexion, dix des plus importantes entreprises de confection de vêtements qui travaillent pour M&S en Inde, au Sri Lanka et au Bangladesh, soit 60 % des fournitures de la marque, ont été invitées à intégrer les principes de durabilité sociétale et environnementale de la norme dans leur stratégie dʼentreprise. Sur les dix, neuf ont accepté de participer sur une base volontaire, en assumant eux-mêmes une partie du coût du programme.
En route pour le long terme
En sensibilisant ses principaux fournisseurs aux principes dʼISO 26000, M&S entend les faire adhérer à des normes plus éthiques.
Pour les neuf fournisseurs en question, le programme a débuté par un atelier consacré au renforcement des capacités, organisé sur trois jours à New Delhi. Le PDG de M&S, Mark Bolland, y a exposé la démarche, en soulignant son importance pour le succès de la mise en œuvre du Plan A. Chaque fournisseur, représenté par deux personnes, était venu sʼinformer et se former sur ISO 26000, les attentes du projet, le coût approximatif et dʼautres questions diverses.
Le programme prévoyait une analyse des lacunes à lʼaide dʼun outil dʼauto-évaluation, une évaluation effectuée par la société CSR Company International, un plan dʼaction basé sur les principes dʼISO 26000, et un tableau de bord pour la mise en œuvre des actions convenues dans le fonctionnement quotidien des usines, de la direction à lʼatelier de production.
Neuf mois après le premier atelier, les entreprises participantes ont été soumises à un audit destiné à vérifier lʼapplication de chaque aspect de manière cohérente et continue. Les fournisseurs entièrement conformes obtenaient alors le Label or M&S « Golden Status Supplier », signifiant le remplacement des contrôles réguliers par des contrôles aléatoires occasionnels.
Diriger avec les autres
En tant que distributeur multinational, M&S dépend fortement de ses fournisseurs pour la qualité de ses matériaux sources. La société doit assurer la traçabilité sur tous les maillons de la chaîne logistique, contrôler lʼorigine des matières premières et vérifier les conditions de travail imposées par ses fournisseurs.
En sensibilisant ses principaux fournisseurs aux principes dʼISO 26000, M&S entend les faire adhérer à des normes plus éthiques. Ceux qui adoptent la norme à titre volontaire sʼengagent à mener leurs affaires avec plus de transparence et de redevabilité, ce qui les aide à se conformer au cadre de durabilité M&S défini dans le Plan A.
Dans les faits, la complexité de la chaîne logistique ne se gère pas seulement à coup dʼaudits et de contrôles, elle doit reposer sur des rapports de confiance mutuelle entre le fournisseur et lʼacheteur. Comme le dit Bolland, la capacité à « diriger avec les autres », en traitant les fournisseurs comme des partenaires et en fixant des limites claires, est essentielle pour faire évoluer lʼensemble de lʼindustrie.
Enfin, le projet doit être porté par la direction de manière à cimenter lʼimplication des partenaires et des employés et faire adopter dans toute lʼentreprise les initiatives qui apporteront des avantages à long terme.
En route vers lʼavenir
Le Plan A est une stratégie commerciale payante. M&S se procure 60 % de ses approvisionnements auprès de fournisseurs qui adhèrent à son cadre de management durable. Obtenir lʼadhésion de 100 % de ses fournisseurs aurait certainement été beaucoup trop complexe pour la société, qui aurait pu en pâtir. M&S mène actuellement son projet avec ses neuf principaux fournisseurs. En fonction des succès obtenus, dʼautres partenaires pourraient entrer en jeu.
Voilà maintenant sept ans que le projet a été lancé, le principal enseignement à tirer du Plan A, et de la démarche de responsabilité sociétale, est une leçon dʼhumilité. Même les multinationales ne peuvent à elles seules changer le monde ; elles doivent travailler avec leurs partenaires. Désormais, forte du soutien de ses fournisseurs, M&S est prête à entamer la prochaine étape de la démarche : le Plan A 2020.
Un distributeur phare du Royaume-Uni
Fondé en 1884, Marks &Spencer (M&S) est un distributeur multinational basé au Royaume-Uni, dont le siège se trouve dans la Cité de Westminster, à Londres. La société est spécialisée dans la vente de vêtements, dʼéquipement ménager et de produits alimentaires de luxe. Forte de ses magasins dans 54 pays, ainsi que de plus de 85 000 employés, elle affiche un chiffre dʼaffaires annuel de plus de dix milliards de livres* et un bénéfice net de 458 millions de livres. M&S est coté à la Bourse de Londres et sur lʼindice FTSE 100 de la bourse de Londres.
*Mars 2013