Qu’est-ce que la finance durable et quelle en est l’importance ? La croissance économique a créé une prospérité sans précédent pour un grand nombre de personnes, mais le prix à payer est aujourd’hui très lourd : changements climatiques, inégalités et épuisement des ressources naturelles. Selon le WWF, première organisation mondiale indépendante pour la protection de la nature, pour réussir à régler ces problèmes, il va falloir réorienter d’énormes quantités de capitaux vers des secteurs plus durables, à faible intensité carbone.
Afin de relever ces défis et d’atteindre les Objectifs de développement durable des Nations Unies, qui visent à mettre le monde sur la voie de la prospérité durable en un peu plus d’une décennie, un engagement concrétisé par des investissements publics et privés et la mise en place d’un nouveau système financier sont indispensables. Le temps presse ! Lors du Sommet du Forum économique mondial sur l’impact du développement durable, tenu à New York en 2019, de grands acteurs de l’économie et personnalités de la société civile se sont déclarés inquiets de l’absence d’avancement, soulignant le manque de solutions financières innovantes axées sur la durabilité.
Comment intégrer la question de la durabilité, en tenant compte de facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, dans le financement des activités économiques ? Peter J. Young, Président de l’ISO/TC 322, Finance durable, créé il y a peu de temps, apporte quelques réponses.
ISOfocus : Alors que le monde est confronté à de nombreux défis, du changement climatique aux inégalités, pourquoi la finance durable est-elle si importante ?
Peter J. Young : La finance durable a un rôle central à jouer pour résoudre les très grands défis auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés à l’échelle de la planète. Les activités financières sont vitales pour la transition vers une société mondiale durable, répondant à des critères essentiels tels que la stabilité économique, la lutte contre la pauvreté, les inégalités, le changement climatique, la dégradation de l’environnement, en vue de la prospérité et de la stabilité sociale dans la paix et la justice.
On estime que les services financiers représentent 12 % à 19 % de l’économie mondiale. Ce vaste secteur est caractérisé par de nombreux segments, dont, souvent, les systèmes de fonctionnement et de réglementation se chevauchent peu. Pour la mise en place d’un système de finance durable, il faut à la fois plus de cohérence et des approches communes, deux éléments que les Normes internationales peuvent contribuer à apporter.
Si l’on veut pouvoir atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies d’ici 2030, il faudra doubler les flux d’investissements actuels et consentir des investissements annuels à hauteur de USD 5 000 milliards à USD 7 000 milliards, ce qui nécessitera une augmentation sensible des flux de capitaux et impliquera des pratiques de finance durable. Pour parvenir à une croissance forte, durable, équilibrée et inclusive, tenant compte des cibles ODD pour 2030 et des engagements internationaux en matière de changement climatique, de tels efforts sont impératifs. Tous les pays sont en retard à ce niveau, mais le plus grand décalage se situe dans les pays en développement, où une forte augmentation de l’investissement étranger direct est nécessaire. La seule formule possible : plus de cohérence, de transparence et de sécurité sur les marchés de la finance durable
Pourquoi créer un comité technique ISO dans ce domaine spécifique ?
À l’heure actuelle, il n’y a pas de définition convenue à l’échelle mondiale pour la finance durable, notamment en ce qui concerne les pratiques, activités et produits de ce secteur financier. De plus, en raison des différentes interprétations quant à ce qui caractérise les bonnes pratiques de finance durable, il est difficile d’avancer dans le domaine. C’est en partie pour aider à éclaircir ces questions que l’ISO/TC 322 a été créé.
Un grand nombre d’activités volontaires et réglementaires sont déployées aux niveaux national, régional et sectoriel, et les avantages que pourraient offrir des Normes internationales y sont explicitement reconnus. Mais, si aucun effort n’est engagé, sur l’ensemble du marché, pour élaborer de telles normes, c’est en partie parce que les parties prenantes ne sont pas très au fait des Normes internationales. Pour son travail de normalisation, l’ISO/TC 322 doit donc approcher un tout nouveau public, l’amener à s’engager dans les processus ISO et l’inciter à participer au travers des organismes nationaux de normalisation. Ce qui est en soi un défi !
Le rôle de l’ISO/TC 322 est d’établir un cadre pour l’élaboration de nouvelles normes visant à définir certaines des activités de finance durable et les orienter. Ce mandat très ambitieux ne peut être mené à bien sans d’importantes contributions de la part d’autres ISO/TC (dont plusieurs ont déjà établi des normes directement applicables, par exemple, en matière d’information financière et de soutien à la gestion), et sans faire appel à des parties prenantes et à des organisations externes.
L’ISO/TC 322 atteindra ses objectifs, d’une part en fournissant une plateforme d’harmonisation et de collaboration pour toutes les activités pertinentes sur la finance durable et, d’autre part, en élaborant de nouvelles normes, souvent en coopération avec d’autres ISO/TC, le cas échéant.
Quels sont vos objectifs et vos attentes en ce qui concerne le programme de travail de ce TC ?
Je pense que les activités inscrites au programme ont des implications à l’échelle mondiale et intéressent un grand nombre de pays et d’organisations du secteur des services financiers dans le monde entier. Ce programme structuré de normes ISO pour la finance durable aidera à aligner les systèmes financiers mondiaux sur les enjeux de la durabilité. Parmi les résultats spécifiques découlant des travaux de l’ISO/TC 322, j’aimerais voir notamment :
- L’établissement de normes, de terminologies et de principes communs mondialement reconnus pour la finance durable, contribuant à réduire la confusion sur le marché et à diminuer les coûts de transaction, vérification et communication pour les acteurs du marché de la finance durable
- La mise à disposition de normes clairement définies pour aider à prévenir le « sustainability washing » (blanchiment ODD), soutenir la crédibilité, l’intégrité et l’extensibilité des activités de la finance durable, et guider les institutions financières (y compris les banques, les investisseurs et les assureurs) pour mieux intégrer les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les investissements et les pratiques financières
- Une meilleure compréhension des activités de finance durable pour faciliter l’innovation et le développement de produits financiers durables, et de services connexes tels que les vérifications par tierce partie et la fourniture de données ESG
- Des indicateurs normalisés permettant de mesurer et d’améliorer la transparence des flux financiers durables, ainsi que la performance ESG des activités, institutions et marchés financiers durables
Quels sont les éventuels projets actuellement menés par le TC ?
L’ISO/TC 322 vise à soutenir l’alignement du système financier mondial avec les ODD grâce à l’élaboration de normes pour les institutions financières et les produits financiers (dont un guide terminologique, des principes de haut niveau, un cadre et des normes techniques spécifiques pour documenter le cadre en question). Cette ambitieuse mission implique une connaissance approfondie des activités pertinentes existantes menées par d’autres comités techniques ISO ou par des organisations externes.
Les travaux en cours ont donc pour objectif de créer les conditions nécessaires à des activités, notamment un groupe d’étude chargé de faire le point sur les initiatives et les besoins actuels et un groupe de terminologie, dont la mission est d’établir un glossaire technique. Ce glossaire – possiblement sous la forme d’un rapport technique – organisera et expliquera les termes couramment utilisés, le lexique et le langage usuels de la finance durable, y compris les concepts, produits financiers, outils d’analyse, organisations et initiatives de la finance durable. Ce glossaire, sur lequel on travaille déjà, devrait paraître en 2020.
La première norme ISO envisagée énonce les principes applicables au niveau mondial en matière de bonnes pratiques de finance durable. Elle servira de contexte pour l’élaboration et le rôle de futures normes spécifiques, permettra une bonne compréhension des notions attachées à la finance durable, et fournira un cadre pour la prise de décision éclairée et l’atténuation des risques, ainsi que des techniques pour mesurer les avantages et des conseils sur la divulgation.
Avez-vous d’éventuelles autres attentes quant aux normes à élaborer ?
L’objectif de l’ISO/TC 322 est de consolider l’apprentissage rapide et les innovations dans le domaine de la finance durable à l’échelle internationale et de permettre à tous les pays de financer la mise en œuvre des ODD à un rythme plus rapide, à moindre coût et moyennant des risques réduits. Le comité veut que les organisations financières saisissent la valeur du processus de la normalisation internationale. Je souhaite également pour ma part que nous anticipions et facilitions la tendance vers une approche durable plus équilibrée, capable d’atteindre uniformément les objectifs ESG.
Pour compléter ces premières activités décrites plus haut (sachant que le TC a neuf mois d’existence à peine), mon vœu serait de voir une série de normes techniques élaborées au cours des prochaines années. Ces normes pourraient porter sur les exigences en matière d’évaluation d’impact, de divulgation, de vérification et de devoir de vigilance. Chacune de ces exigences est applicable aux principaux produits financiers aptes à produire des résultats durables, notamment aux prêts durables, obligations durables, fonds, assurances, capital-investissement et actions cotées.
Certaines normes seront établies en épaulant d’autres comités techniques et sous-comités (par exemple, l’ISO/TC 207/SC 4 pour ses travaux sur les emprunts/obligations durables) et d’autres seront élaborées par des groupes de travail conjoints (par exemple, l’ISO/TC 207/WG 11 sur la finance verte) de manière à réunir les compétences nécessaires durant le processus d’élaboration des normes. Des relations de travail étroites seront également engagées avec d’autres organisations actives dans certains segments de la communauté financière.
Nos résultats aideront à orienter les opérations durables des institutions financières et des entités émettrices, à définir et à classer les activités de finance durable, à mesurer l’impact sur la durabilité, à améliorer la transparence et à assurer l’intégrité de ces activités. Ils contribueront à accélérer la croissance de la finance durable et fourniront des mécanismes fiables pour mobiliser des fonds à l’échelle mondiale afin de relever les défis environnementaux, climatiques et sociétaux les plus urgents.